EICHTHAL

Prénom(s)

Gustave

Essayiste, ethnologue et philologue indépendant. Rentier. Élève d’Auguste Comte. Dirigeant saint-simonien enfantiniste. Juif ashkénaze, catholique, franc-maçon.

Fils du banquier Louis d’Eichthal. Frère aîné du banquier et homme d’affaires Adolphe d’Eichthal. Père d’Eugène d’Eichthal, directeur de Sciences Po. Arrière-grand-père de Daniel Guérin, grande figure militante des mouvements libertaires les plus radicaux du xxe siècle (trotskisme, anarchisme, communisme antistalinien, anticolonialisme) et défenseur pionnier de la cause homosexuelle.

Né à Nancy le 22 mars 1804, mort à Paris le 9 avril 1886.

 

 

Dans les voies ouvertes par Enfantin et sur toute la durée de son existence, Gustave d’Eichthal est, avec Michel Chevalier, mais dans les domaines de la théorie et de l’ethnologie, l’un des inventeurs les plus importants du « saint-simonisme » après avoir eu le privilège d'être, de 1824 à 1829, le premier disciple d'Auguste Comte, son répétiteur en mathématiques lorsqu'il s'était préparé, en vain, à entrer à Polytechnique.

Une fois acquise, en 1829, sa franche adhésion aux idées que lui expose Enfantin, il ne cesse, au temps même de son élaboration, de faire bénéficier la doctrine dite « de Saint-Simon » de sa connaissance, puisée à la source, d’avancées anglaises et allemandes encore fort mystérieuses pour la plupart des Français contemporains : la science financière londonienne d’une part, et, d’autre part, les orientations nouvelles de la philosophie allemande (Kant, Hegel, l’Aufklärung et la réforme du judaïsme issue de Moses Mendelssohn).

Son investissement est total : il apporte au mouvement non seulement une foi enthousiaste et créative, mais aussi, selon le principe de mise en communs des biens personnels qui régit la société saint-simonienne dans sa vie matérielle, de considérables sommes d’argent prises sur sa part des revenus de la maison de banque parisienne Louis d’Eichthal & fils.

La retraite de Ménilmontant, en 1832, pendant laquelle Eichthal incite Enfantin à assumer le rôle d’un nouveau Messie, correspond pour lui personnellement à une prise de conscience de la spécificité de son identité juive et des potentialités qu’elle lui offre (fonction prophétique au sein du mouvement, défense d’une population et d’une culture opprimées, empathie avec la cause des femmes et celle des Noirs, traditions philologiques…). Tandis que son frère cadet Adolphe prend une autorité croissante à la tête de la banque familiale et devient un important acteur de la révolution ferroviaire, il est délibérément contraint à l’autonomie par Enfantin, qui se refuse à rester son idole, et il s’aménage peu à peu la position d’une sorte d’universitaire indépendant, si l’on peut dire pour caractériser sa singulière situation de producteur scientifique bénévole à une époque où l’enseignement supérieur et la recherche étaient encore embryonnaires. N’était son peu de goût pour se mettre en avant, il devient un intellectuel avant la lettre.

Car ses investigations théoriques postérieures à sa militance saint-simonienne, notamment dans le domaine de l’ethnologie naissante, s’accompagnent d’engagements plus ou moins publics pour différentes causes humanistes : la construction de la Grèce moderne, la condition des juifs dans l’Empire austro-hongrois, l’abolition de l’esclavage des Noirs, la reconnaissance du rôle civilisateur de l'islam en Afrique, la paix entre les peuples et l’unité européenne, les débuts de l’Association Internationale des Travailleurs…

Ami, protecteur et mentor d’Ismaÿl Urbain durant plus de cinq décennies, Eichthal s’est aussi quelque peu comporté comme son pygmalion, contribuant à le façonner tantôt comme Noir, tantôt comme musulman, et téléguidant ses débuts de carrière du haut de son éminente position sociale, jusqu’à l’amener à certains moments à servir à ses observations ethnologiques et jusqu’à programmer la perpétuation de ce statut d’objet de curiosité scientifique pour et par les chercheurs qui consulteraient ses récits autobiographiques, sa correspondance avec son père et avec lui même, Eichthal, dans ses propres papiers, où il avait pris soin de les verser.

Comme les Pereire, en effet, Eichthal s’est considéré comme investi d’une mission de conservation et de transmission de l’héritage saint-simonien. Et, comme eux aussi, alors même qu’Enfantin l’avait non sans intention désigné comme l’un des membres du conseil chargé d’exécuter ses volontés testamentaires, il a à la fin de sa vie tenu à ne pas confondre son propre legs dans celui du « Père ». C’est bien pourquoi les dons effectués par ses descendants tant à la Bibliothèque Thiers qu’à l’Arsenal sont demeurés sous son nom.

Ph. R.

 

SOURCES

Notice par Hervé Le Bret sur le site de la Société des études saint-simoniennes, à lire en priorité au lien https://www.societe-des-etudes-saint-simoniennes.org/eichthal. Notice Wikipédia au lien https://fr.wikipedia.org/wiki/Gustave_d%27Eichthal. – Thèse d'histoire du même Hervé Le Bret, soutenue en 2007 sous le titre « Les frères d'Eichthal. Gustave, penseur saint simonien et Adolphe, homme d'action. Leur influence sur l'ouverture à partir de 1830 de la société française aux réseaux financiers et industriels, aux échanges internationaux et aux sciences sociales ». Cette thèse est consultable dans sa rédaction originelle et intégrale parmi les Usuels relatifs au saint-simonisme de la salle de lecture de l'Arsenal. L'auteur en a publié une version un peu réduite, en 2012, aux Presses universitaires de Paris-Sorbonne, sous le titre Les frères d’Eichthal. Le saint-simonien et le financier au xixe siècle, 639 p. – Articles sur Gustave d’Eichthal de Michel Espagne et de Sandrine Lemaire in Philippe Régnier dir., Études saint-simoniennes, Presses universitaires de Lyon, 2002.