FANFERNOT, ou FANFERNAUT, ou FANFERNANT, née LEFRANC

Prénom(s)

Julie
Cécile

Ouvrière parisienne, un temps entrée dans la bourgeoisie par son mariage, mais vivant séparée et revenue à sa condition populaire. Éduquée dans le catholicisme, ardemment républicaine avant de se rallier au saint-simonisme en décembre 1831. Bref passage ensuite par l’expérience fouriériste de Condé-sur-Vesgres, puis tentative de fonder sa propre colonie socialiste aux environs de Marseille.

Née vers 1800, morte à Paris en 1838. Épouse de François Fanfernot, fabricant de tapis[1].

 « Julie Fanfernaut », le nom erroné qu’on peut lire assez souvent, est une approximation phonétique. La graphie « Fanfernant », très rare, résulte d’une coquille.

 

[1] Catalogue des Minutes et répertoires du notaire Achille TOURIN, 7 mai 1822 - 19 octobre 1842 (étude XXIX), consulté sur le site des Archives nationales le 7 octobre 2020 au lien https://francearchives.fr/fr/agent/18847822. Je (Ph. R.) n’ai pas encore consulté les documents eux-mêmes. Il est très probable qu’ils livrent de nouvelles informations sûres et précises.

La légende de Julie Fanfernot, consignée dans les Mémoires de Vinçard[1], remonte aux journées de Juillet. S’étant jointe à l’insurrection de la jeunesse étudiante, elle se serait distinguée en s’emparant d’un canon au Louvre. Suite à cet acte peu commun pour une femme, ses compagnons de barricade, l’ayant hissée sur l’affût, l’auraient promenée en triomphe sur les quais de Paris.

Le chansonnier, qui l’a connue et fréquentée, résume son opinion sur elle en la présentant comme une « femme éminemment supérieure, [un] type extraordinaire de haute intelligence et de folie sublime ».

Le caractère de l’héroïne ne tarde pas à se manifester à nouveau à l’occasion d’un fait divers.

Le 20 septembre 1831 en effet, Julie Fanfernot est arrêtée dans les jardins du Palais-Royal au motif qu’elle aurait, « par des cris séditieux, provoqué à la rébellion ». Il s’avère qu’elle a seulement eu le courage de prendre la défense d’un vieillard maltraité par des agents de police pour avoir tenu des propos très critiques à l’égard du gouvernement. Aussi est-elle facilement acquittée par la Cour d’assises de la Seine siégeant le 22 novembre suivant. La Gazette des Tribunaux, qui rend compte du procès, présente l’accusée comme une « rentière » âgée de 30 ans et observe sa mise « recherchée », son port d’un chapeau ombragé d’un voile noir, et la facilité de sa parole. Le chroniqueur note que sa poitrine est « honorée du ruban de juillet », soit de la décoration accordée à ceux et celles qui ont fait preuve de « courage » et de « patriotisme » durant la révolution de juillet 1830[2].

Dans le cadre saint-simonien, une première prise de parole, spontanée, a lieu lors de la « réunion du degré des industriels » (l’ex-« degré des ouvriers ») du 25 décembre 1831, le jour même de Noël. Elle est relatée et en partie restituée dans le compte rendu de la séance publié par Le Globe du 30 du même mois[3]. Depuis les rangs des invités extérieurs, « madame Fanfernaut » intervient en se présentant comme une femme ayant pris « une part active à la révolution de juillet », précédemment animée par les « sentiments du républicanisme », mais embrassant désormais « la nouvelle foi religieuse ». Plutôt embarrassé, à ce qu’il semble, par cette irruption incontrôlée d’une émeutière repentie de fraîche date, le président de séance, Olinde Rodrigues, l’interrompt en arguant de l’émotion qui la domine au point de la rendre peu audible.

Comme l'analyse fort bien Louis Reybaud lorsqu’il évoque dans ses Études sur les réformateurs contemporains l’attrait particulier du public pour « les confessions de Mlle [sic] Julie Fanfernaut[4] », le raffinement de la « mise en scène » aménagée par les saint-simoniens pour leurs assemblées publiques n’est pas pour rien dans leur effet communicatif.

Toujours est-il que la scène est répétée, mais avec plus d’ampleur et dans un but évident d’exploitation dramatique, lors de la séance suivante, tenue le 1er de l’an, et exceptionnellement présidée par Enfantin. Le Globe, cette fois encore, recourt aux notes de son sténographe pour la restituer à la une de son numéro du 11 janvier 1832.

À peine les urgences de l’ordre du jour ont-elles été traitées que non sans avoir au préalable réaffirmé l’impossibilité et le caractère chimérique, selon lui, de la république, Rodrigues, ainsi qu’il l’avait promis, redonne la parole à « Julie Fanfernaut ». L’entretien en privé qu’entre-temps, il a eu avec celle-ci, produit tous ses fruits. Car « Julie » s’emploie d’abord à renier « les passions et la haine » qui avaient nourri, reconnaît-elle, ses précédentes convictions politiques, pour mieux célébrer les dispositions de « bienveillance générale » qui l’animent depuis sa conversion, et qui ne sont pas, appuie-t-elle, sans réveiller en elle les souvenirs de sa première communion catholique.

Lorsque la jeune femme réitère l’état d’émotion paroxystique qui l’empêche de parler et qui paraît avoir tant frappé ses auditeurs de la séance précédente, Rodrigues est cette fois en mesure de prendre le relais. Les éléments biographiques que met en exergue le « chef du culte » (soit de l’industrie, en langue laïque) sont bien sûr ceux qu’il estime les plus propres à attester de son « intelligence industrielle ». Rejetée par ses parents dès sa prime jeunesse, Julie, raconte-t-il, a, « depuis l’âge de quatorze ans », eu la force d’entretenir « plusieurs familles du travail de ses mains ». Il lui a même fallu, à l’issue d’une maladie, repartir de rien du fait de la disparition, chez elle, de ses « instruments de travail ». Mère d’un jeune enfant élevé à la campagne et dont, pour cette même raison, elle n’avait pu régler les frais de nourrice, elle aurait alors fait « quarante lieues à pied » pour l’aller voir et se serait embauchée pour le travail des champs et les moissons, à raison de douze sous par jour », afin de gagner de quoi le récupérer.

Le dénouement est assuré par Enfantin, qui accueille l’impétrante dans la famille saint-simonienne en dégageant la portée générale de son cas : elle offre à ses yeux une claire démonstration de la capacité des saint-simoniens à découvrir et mettre en lumière « la puissance éclatante qui est dans la femme », et toute son aptitude à « s’associer aux travaux de l’homme », c’est-à-dire à la politique et à l’industrie.

Julie Fanfernot se serait-elle de surcroît portée candidate à remplir le rôle de la femme-prêtre appelée par Enfantin à partager son pontificat ? C’est ce que prétend Vinçard, ajoutant que l’intéressé eut la sagesse de décliner l’offre. Dans les comptes rendus du Globe, rien ne confirme l’information. Mais elle n’est pas invraisemblable, sachant qu’il y eut plus d’une candidature, déclarée ou larvée.

Il est pareillement impossible de confirmer que, selon un bruit rapporté par Léon Halévy, la novice ait dans un premier temps « suivi Olinde Rodrigues dans sa disgrâce » (survenue le 13 février 1832) et soit à cette occasion « devenue. […] la compagne [i. e. la dame de compagnie ?] de madame Olinde »[5].

Il n’y a toutefois aucune raison de mettre en doute la suite du parcours telle que Vinçard la relate en s’appuyant sur ses souvenirs, mais aussi sur une correspondance reçue de l’intéressée et qu’il cite.

À l’en croire donc, Julie Fanfernot, « plus tard », vit et travaille avec un groupe de saint-simoniens établis rue Popincourt – une survivance, comprend-on, de l’une des « maisons d’association » mises en place dans les arrondissements ouvriers de Paris à l’automne de 1831. Dans le même esprit « nomade » d’aventure sociale, elle entraîne ensuite « cinq ou six curieux, ou amateurs », parmi lesquels Vinçard lui-même, à rejoindre la colonie sociétaire en cours de fondation à Condé-sur-Vesgres, près de Rambouillet. Restée la seule du groupe à persévérer dans l’expérience conduite par les fouriéristes au-delà du premier contact, elle use assez vite son volontarisme devant l’incompréhension rencontrée parmi ses nouveaux amis. C’est néanmoins dans cette phase de rapprochement avec l’école de Fourier, en 1833, qu’elle s’efforce, en compagnie de l’un de ses membres, Eugène Stourm, de lancer sous le beau titre de L’Étincelle un périodique qui, faute de moyens, ne dépasse pas l’étape de son prospectus.

À une date indéterminée, qu’on peut situer dans la seconde moitié des années 1830, Julie Fanfernot, probablement inspirée par le mouvement général des saint-simoniens vers l’Orient, se transporte à Marseille et y trouve son « point d’appui ». C’est là que Vinçard la revoit à la même époque, à l’occasion d’une tournée commerciale et apostolique qu’il accomplit en province. Alors de nouveau chargée d’un enfant en bas âge et enceinte, mais vivant en compagnie d’« une espèce d’ours » qui reçoit ses ordres pour assurer sa vie domestique, l’approvisionner en fournitures et exécuter ses livraisons, elle a recommencé à vivre des produits artisanaux de son aiguille (« de petits ouvrages en tapisserie, objets de fantaisie pour dames »). Mais surtout, elle s’est entourée de « jeunes gens de familles riches, tous instruits et sérieux », auxquels elle enseigne ce qu’elle a retenu de la doctrine saint-simonienne. C’est à partir de ce cercle de ses disciples et amis qu’elle lance un nouveau journal (Vinçard n’en mentionne pas le titre), noue des relations avec les édiles d’« une petite localité » des environs en vue d’y « fonder une colonie religieusement dirigée », ou encore se porte volontaire auprès du préfet, en 1838, pour organiser la lutte contre l’épidémie de choléra sévissant alors à Marseille.

Il faut croire que tous ces efforts furent eux aussi assez vains, puisque, toujours d’après Vinçard, Julie Fanfernot revint finalement à Paris pour y mourir « peu après », recrue de déceptions et écartant de son lit de mort ses amis les plus zélés auxquels elle en voulait de ne pas l’avoir suivie.

 Le fils évoqué en 1831, Ernest Fanfernot, boursier du gouvernement en récompense de la conduite de sa mère en juillet 1830, partagea à Bourges l’éducation de « l’élite de la classe des privilégiés »[6] et devint auteur dramatique. Il envoya à Enfantin, en 1863, trois brochures qu’il avait publiées au sujet de la propriété littéraire, accompagnées d’une lettre d’envoi rappelant le souvenir de son enfance au contact des saint-simoniens. Il est signalé comme ayant fait l’objet d’une arrestation pendant la Commune.

Ph R.

 

SOURCES

Notice du Maitron par Laurence Dupérier et Philippe Régnier, mise en ligne le 20 février 209 et modifiée le 7 février 2018, au lien https://maitron.fr/spip.php?article30760 (consultée le 10 octobre 2020). – Bibliothèque de l’Arsenal, fonds Enfantin, Ms 7 854/65. Rapport de parenté possible avec le républicain quarante-huitard Fanfernot ou Fanferneau, imprimeur sur étoffes à Belleville, repéré par Michel Cordillot dans la notice du Maitron mise en ligne le 20 février 2009 sous ce patronyme au lien https://maitron.fr/spip.php?article30759 (consultée le 10 octobre 2020) ; avec le soldat phalanstérien du même nom signalé à Dijon en 1846 par Jean-Claude Sosnowski dans la notice des Cahiers Charles Fourier mise en ligne en décembre 2012 au lien http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article1035 (consultée le 10 octobre 2020) ; ainsi qu’avec et avec le pacifiste des mêmes nom et prénom arrêté pendant la Commune qui est signalé sur le site des Amis de la Commune au lien https://www.commune1871.org/component/search/?searchword=fanfernot&searchphrase=all&Itemid=108 (consulté le 10 octobre 2020).  — Le Globe, numéros du 30 décembre 1831 et du 11 janvier 1832. Marguerite Thibert, Le Féminisme dans le socialisme français de 1830 à1870, Paris, M. Giard, 1926. – Laure Adler, À l’aube du féminisme : les premières journalistes (1830-1850), Paris, Payot, 1979, p. 76-77. Michèle Riot-Sarcey, La Démocratie à l’épreuve des femmes, Albin Michel, Paris, 1994, p. 51-52. – Voir également les références mentionnées au fil des notes de la présente notice.

 

 

[1] Les souvenirs de Vinçard concernant Julie Fanfernot sont concentrés dans un passage unique de ses Mémoires épisodiques d’un vieux chansonnier saint-simonien, Paris, 1878, entre les pages 157 et 166. On y retrouvera toutes les informations dont je fais état en le suivant.

[2] Gazette des tribunaux, 23 novembre 1831, consultée en ligne le 7 octobre 2020 au lien http://data.decalog.net/enap1/liens/Gazette/ENAP_GAZETTE_TRIBUNAUX_18311123.pdf. L’article indique l’identité de femme mariée et de jeune fille qui a servi à retrouver l’archive notariale citée supra. On peut s’étonner de l’état de « rentière » dont il est fait mention et avec lequel ne s’accordent guère les autres sources.

[3] Numéro cité, p. 1451, col. 2.

[4] Ouvr. cité, 1841, vol. 2, p. 114.

[5] Léon Halévy, « Souvenirs de Saint-Simon », La France littéraire, Paris, 1832, t. 1er, p. 532-533.

[6] « Réunion du degré des industriels. – Séance du 1er janvier », Le Globe, 11 janvier 1832, p. 42, col. 1re.