DUGUET

Prénom(s)

Charles
Antoine

Ancien avocat, fonctionnaire ministériel, intendant. Saint-simonien à partir de 1829, très actif dès 1830 et au premier rang des fidèles d’Enfantin entre 1832 et 1836. Amant de Caroline Noël-Simon. Proche collaborateur d’Alexis Petit à Vauzelles entre 1854 et 1863.

Né le 29 avril 1799, date de mort inconnue.

Charles Duguet est un camarade de collège de Charles Lambert, le futur Lambert bey, ce qui semble indiquer une origine dans le Valenciennois. « Ex-avocat »[1], il devient saint-simonien vers août 1829 sous l’influence de Dugied et de Talabot[2] et participe à la mission de Belgique en 1830 ainsi qu’à la propagande auprès des ouvriers à partir du 8 juillet 1831. Membre du 2e degré, il est logé au siège parisien du mouvement, rue de Monsigny et assiste Prati dans son enseignement en italien. Le huitième des Enseignements d’Enfantin atteste de son soutien personnel à Enfantin à l’occasion des objections soulevées par Guéroult. Le même recueil publie la profession de foi enfantiniste à laquelle il se livre le 14 décembre 1831.

Duguet fait partie des apôtres qui se retirent à Ménilmontant au printemps de 1832. En juin, un rapport au roi du préfet de police le cite parmi les révolutionnaires préparant l’insurrection qui va avoir lieu à la fin du mois. Il n’est certes pas invraisemblable qu’il soit allé au contact des républicains, ne serait-ce que pour connaître leurs intentions. Mais compte tenu du refus de principe opposé par Enfantin et ses amis aux prises d’armes républicaines, l’information paraît pour le moins entachée d’une erreur d’interprétation.

Lorsque la famille saint-simonienne de Paris se disperse et entreprend son grand mouvement vers Lyon, Duguet se refuse quant à lui à rallier la nouvelle capitale du saint-simonisme. La cause en est probablement sa relation passionnée avec Caroline Noël – l’épouse séparée du Dr Léon Simon, avec laquelle il commence à expérimenter la multiplicité amoureuse inspirée par les idées d’Enfantin sur le sujet[3]. Il ne quitte Ménilmontant qu’à regret, et tardivement, après une première rupture avec son amante, préférant parcourir, en grande partie seul, à pied et sac au dos, l’Artois, la Flandre, la Belgique et l’Ouest de la France pendant les premiers mois de 1833.

Après Angers, Le Mans et Rennes, il arrive à Nantes le 26 juin 1833. Dans son journal intime, Guépin, qui le voit avec des yeux de phrénologue, note : « La religiosité, la fermeté et l’imagination se font remarquer sur son crâne qui est développé, ses manières sont distinguées, son esprit très éclairé[4]. »

C’est au cours de cette période nomade que Duguet se lie sentimentalement avec une amie de Caroline, Angélique Arnaud, qui entrera peu après dans une carrière de romancière et de journaliste féministe. Il se forme ainsi une sorte de trio amoureux dont la complexité nourrit une longue et copieuse correspondance, partiellement retrouvée et publiée à la fin du xxe siècle par une maison d’édition féministe[5].

Lorsque Duguet apprend qu’Enfantin sort de Sainte-Pélagie, il le rejoint à Lyon le 2 septembre 1833. Envoyé par le Père comme éclaireur en Égypte, il embarque pour Alexandrie, où ce dernier le rejoint quelques jours plus tard.

En 1834, Enfantin le charge de contrer le mauvais effet prévisible de la défection de Henri et Cécile Fournel en lui faisant prendre le même bateau de retour qu’eux dans le but qu’il répande en France un récit avantageux de son action orientale et qu’il en profite pour recruter des volontaires (ouvriers, ingénieurs et artistes) pour le chantier du barrage sur le Nil voulu par le pacha Mohammed Ali. Durant son retour de quelques mois sur le sol national, Duguet renoue avec Caroline Noël, qui avait entre-temps reçu des consolations de Tajan-Rogé. Il entretient une correspondance suivie avec Guépin, et réussit à l’enthousiasmer pour l’épopée égyptienne. Duguet ne cesse d’aiguillonner le docteur afin qu’il use de son influence pour soutenir sa mission dans la presse nantaise.

Le 17 février 1835, Duguet annonce à Guépin son arrivée prochaine à Nantes :

 

Prévenez aussi de mon passage les deux Bonamy que je désire retrouver réunis avec vous. Veuillez m’annoncer en même temps à M. Simon que j’irai visiter. Mon intention est de ne m’arrêter qu’un jour ou deux au plus à Nantes […]. Il est bien d’ailleurs que je vous annonce que j’ai conservé mon costume. Je descendrai donc à l’hôtel[6].

 

Duguet sera effectivement le dernier à porter le costume de Ménilmontant. Il repart en Égypte, d’où il revient définitivement, avec Enfantin, en octobre 1836.

 


Duguet est par la suite l’un de ceux qui se chargent de recueillir de l’argent pour Enfantin pendant la période de purgatoire qu’il lui faut traverser une fois rentré en France.

Fidèle parmi les fidèles, comme s’il tenait à rester le plus longtemps possible dans son rôle de « chevalier errant » (H.-R. d’Allemagne), il attend 1837 et l’évidence du renoncement définitif d’Enfantin lui-même pour rentrer à son tour dans la vie civile.

Au plan intime, sa relation complexe avec Caroline Simon et Angélique Arnaud se poursuit et continue à nourrir sa correspondance avec la seconde au-delà même de la mort de la première, en 1848.

Employé au ministère des travaux publics dans les années 1840, grâce, semble-t-il, à la protection du ministre conservateur Martin (du Nord), Duguet paraît alors tenté par le buchézisme[7]. Il est d’autre part encore en contact avec Claire Bazard[8].

Sous le Second Empire, à la demande d’Alexis Petit, il accepte de s’engager au service de l’expérience de ferme modèle fondée à Vauzelles, dans le Berry, par Mme Petit, la mère de ce dernier. Palliant les défaillances d’Alexis, déprimé, dans la gestion du domaine, il s’y dévoue jusqu’en 1863, année où la mésentente qui a fini par s’introduire entre les deux hommes et par vicier leurs relations se solde, à son grand regret, par l’éviction de Duguet, ouvertement rentré dans le giron du catholicisme[9]

Le personnage est identifiable à l'auteur d'une brochure d'une cinquantaine de pages intitulée « Notes sur les notices: réflexions sur l'homme et Dieu » parue en 1869 en commentaire du « troisième des 13 tomes avant-coureurs des œuvres de Saint-Simon et d'Enfantin » (publiées par Arlès-Dufour, Paul-Mathieu Laurent, et les autres légataires d'Enfantin)[10].

 

Michel AUSSEL

Contributions de Ph. Régnier

 

 

SOURCES

 

https://maitron.fr/spip.php?article30391, notice DUGUET Charles-Antoine revue et complétée par Ph. Régnier, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 25 octobre 2018. – Bibliothèque de l’Arsenal, fonds Enfantin, en part. ms 7622, 7670/45 et 89, 7671/135 et 174, et fonds A. Petit, ms 15031(3)/420 et 491. — Archives de la Défense, E5 26. — Procès [des saint-simoniens], 1832, p. 301. — Sébastien Charléty, Histoire du saint-simonisme, 2e éd., p. 170. – Michel Aussel, Nantes sous la Monarchie de Juillet, Ouest Éditions, Nantes 2002, p. 117-123 ; et, du même, Le docteur Ange Guépin. Nantes, du Saint-Simonisme à la République, Rennes, PUR, 2016, p. 467 et passim.

 

 

[1] C’est ainsi qu’il est présenté dans le volume du Procès, p. 44 et 301.

[2 Voir les indications qu’en donne Duguet lui-même lors de la séance du 19 novembre de la Réunion générale et au cours du 12e Enseignement d’Enfantin.

[3] Voir Bernadette Louis éd., Une correspondance saint-simonienne. Angélique Arnaud et Caroline Simon (1833-1838), Paris, Côté-Femmes, 1991.

[4] Journal de Guépin, 26 juin 1833, dans Michel Aussel, Le docteur Ange Guépin. Nantes, du Saint-Simonisme à la République, Rennes, PUR, 2016 p. 349.

[5] Voir supra la note 1.

[6] Lettre de Duguet à Guépin, Saintes, le 17 février 1835, Bibliothèque municipale de Nantes, ms 2940.

[7] Lettre du 25 septembre 1840, Fonds Enfantin, ms. 7670/45.

[8] Fonds Enfantin, ms 14387/4.

[9] Bernard Jouve, L’épopée saint-simonienne. Saint-Simon, Enfantin et leur disciple Alexis Petit…, Paris, Guénégaud, 2001, p. 267-275. Voir les papiers Alexis Petit de l’Arsenal, ms 15031 (3), f° 420 et suiv.

[10] Exemplaire unique conservé à la bibliothèque de Poitiers sous la cote http://www.sudoc.fr/058637613